« Au moment de l’annonce de mon cancer, les restes à charge n’étaient vraiment pas un sujet pour moi. Le 22 novembre, je recevais le diagnostic et, le 6 décembre, je subissais une mastectomie totale du sein gauche. Dès lors, tout est allé très vite… », témoigne Caroline, 48 ans aujourd’hui. Très rapidement en effet, elle se rend compte que, entre les dépassements d’honoraires, les soins de support et les produits cosmétiques dont elle a besoin, la facture va être lourde.
Deux ans plus tard, alors qu’elle a déjà subi deux interventions (sur les trois prévues) pour une reconstruction mammaire par la technique du grand dorsal, et qu’elle a dû changer de mutuelle pour en assumer les frais, Caroline a accepté de faire les comptes pour Rose magazine. Au total, après les remboursements par la Sécurité sociale et ses différentes mutuelles, elle a réglé de sa poche un peu plus de 5 000 euros, dont une bonne partie en dépassements d’honoraires, mais pas seulement (voir l’addition de Caroline ci-contre).
Confrontés à des frais divers, souvent inattendus et non couverts, de nombreux malades voient leur quotidien comme une longue addition. Heureusement, de multiples possibilités existent pour alléger la note. Tour d’horizon de ce que vous devez savoir pour vous repérer dans la jungle des mutuelles et prendre la meilleure direction !
Je passe en ALD, ma mutuelle est-elle encore utile ?
Si, comme 96 % des Français, vous avez une mutuelle, autrement appelée complémentaire, gardez-la ! Que ce soit un contrat d’entreprise (une obligation depuis 2016 pour tous les salariés) ou individuel. « Certains patients font le choix de résilier leur mutuelle une fois en ALD, ne comprenant pas que le 100 % ne couvre pas tout », alerte Véronique Jouvel, assistante sociale au centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard (Lyon).
En effet, ALD ne rime pas avec tout-remboursé… tant s’en faut ! En moyenne, en ALD 92 % des dépenses de santé sont couvertes par la Sécurité sociale, contre 66 % hors ALD. Les frais de chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie et hormonothérapie sont majoritairement pris en charge. Mais, attention !, il faut bien garder en tête que les affections et accidents autres que le cancer ne sont pas couverts sous le régime ALD : si vous vous cassez la jambe ou attrapez une grippe, les frais afférents ne seront pas pris en charge à 100 %.
À LIRE AUSSI : Tout savoir sur l’ALD
Tous mes frais médicaux liés au cancer sont-ils couverts par l’ALD ?
Même si c’est assez contre-intuitif, il faut comprendre que le 100 % de l’ALD ne signifie pas une prise en charge à 100 % des frais réels. Il s’agit de 100 % du tarif conventionnel fixé par l’assurance maladie. Donc vous êtes exonéré du ticket modérateur – la part du tarif conventionnel que la Sécurité sociale ne prend pas en charge en temps normal –, mais pas des éventuels dépassements d’honoraires.
Si les professionnels de santé que vous consultez facturent leurs prestations à un montant plus élevé que les tarifs de la Sécurité sociale, vous aurez bien un reste à charge à payer. Et ces dépassements peuvent être élevés, pour les chirurgiens ou les anesthésistes par exemple, ou se cumuler, lorsque l’on est suivie de façon très régulière. Si les hôpitaux publics et les centres Unicancer n’appliquent pas de dépassements d’honoraires, sachez toutefois que certains médecins peuvent y assurer des consultations à leurs propres tarifs. Renseignez-vous !
Quels types de frais vais-je avoir à payer de ma poche ?
Outre les potentiels dépassements d’honoraires demeurent aussi à votre charge le forfait journalier hospitalier, les franchises médicales, la participation forfaitaire, etc. (voir le détail dans l’encadré « L’ALD décryptée »). De même, le vernis au silicium (en moyenne de 9 à 15 euros), les cosmétiques adaptées, les produits de nettoyage des lentilles sclérales (10 euros par mois), les protections urinaires ou encore le fluor ne sont pas du tout remboursés, bien que leur utilisation soit directement liée aux traitements des cancers.
Un ensemble de coûts qui, additionnés sur une longue durée, voire à vie dans les cas de cancer chronique, créent des inégalités criantes entre les patients. Des inégalités qui durent : les patients déboursent 300 euros en moyenne chaque année pendant deux à cinq ans après la fin des traitements, pour des consultations avec un diététicien, un ostéopathe ou un acupuncteur (26 %), l’achat de vêtements ou de sous-vêtements adaptés (19 %) ou encore de crèmes dermatologiques (18 %).
L’ALD DÉCRYPTÉE
Le cancer fait partie des affections prises en charge en ALD (affection de longue durée) dite exonérante, c’est-à-dire que le patient bénéficie d’un remboursement à 100 %, sur la base des tarifs de la Sécurité sociale, de ses frais de santé liés à l’ALD. Mais tout n’est pas compris dans cette exonération. Restent à la charge du patient :
• La participation forfaitaire de 2 euros applicable pour chaque consultation et plafonnée annuellement à 50 euros
• Les franchises médicales : soit 1 euro par boîte de médicament, 1 euro par acte paramédical (dans la limite de 4 euros par jour), 4 euros par transport sanitaire (dans la limite de 8 euros par jour)
• Les dépassements d’honoraires
• Le forfait hospitalier, fixé à 20 euros par jour
• La chambre particulière et les équipements demandés en sus (TV, lit d’accompagnement…)
Comment savoir si ma mutuelle va bien me rembourser ?
Le premier réflexe doit être d’étudier attentivement le niveau de remboursement offert par votre mutuelle. Cela fonctionne en pourcentages, vous verrez donc 100 %, 200 %, 300 %. Attention ! dans le tableau de garanties d’une mutuelle, l’indication 100 % ne veut pas dire 100 % remboursé, mais un remboursement sur la base de 100 % du tarif de convention. Résultat : quand la Sécurité sociale rembourse 70 % du tarif de convention de votre médecin, votre mutuelle à 100 % vous rembourse les 30 % du tarif de convention qui restent à votre charge.
Vous êtes perdue ? Voici un exemple concret : vous consultez un praticien qui applique un dépassement et qui vous demande 43 euros. La Sécurité sociale, hors ALD, ne rembourse que 70 % du tarif conventionnel de la consultation, fixé à 26,50 euros, moins les 2 euros de participation forfaitaire, soit 16,55 euros. Votre mutuelle, elle, paye 30 % du tarif de convention, soit 7,95 euros. Il restera donc à votre charge 18,50 euros. La solution pour réduire la facture ? « Privilégier une couverture à hauteur de 150 % minimum, voire beaucoup plus selon le besoin, à 200 %, 300 %, ou aux frais réels », conseille David Trohel, directeur des produits à Santiane, société de courtage.
Évidemment, augmenter son niveau de garantie entraîne une augmentation des cotisations. Parfois aussi les formules proposées par votre mutuelle sont insuffisantes pour faire face à des dépassements d’honoraires très élevés. Un changement de mutuelle peut alors s’avérer nécessaire.
Puis-je changer de mutuelle pour être mieux couverte ?
Il est désormais possible de résilier sa mutuelle sans justification après douze mois de souscription. Avant ? Vous pouvez le faire en cas de déménagement, de changement de situation matrimoniale ou professionnelle, de départ à la retraite… Et en cas d’augmentation importante et injustifiée du prix de votre complémentaire. Les mutuelles ont d’ailleurs augmenté leurs tarifs de 7,3 % entre 2022 et 2023 et une nouvelle hausse de 10 % était prévue en 2024. Mais, depuis 2020, les tableaux de garanties des mutuelles doivent suivre la même présentation.
« Cela fonctionne par blocs : hospitalisation, dentaire, optique, consultation médicale… précise David Trohel. Il faut donc les comparer ligne par ligne. » Ou faire appel à un courtier si on n’a ni l’énergie ni le temps de s’y consacrer. Ce qu’a fait Caroline : « C’est vraiment un langage particulier, avec des tableaux complexes et rébarbatifs. Pour moi, honnêtement, c’était du chinois ! »
À LIRE AUSSI : Restes à charge : qui va les payer ?
Puis-je changer de mutuelle alors que je suis déjà en traitement ?
Il faut prendre en compte les délais de carence après la souscription d’un nouveau contrat : c’est une période, allant de un à neuf mois selon les soins, pendant laquelle la mutuelle ne prend pas en charge les prestations les plus onéreuses, ou les prend en charge de manière restreinte. Lorsque Caroline a choisi de changer de mutuelle pour être mieux remboursée des coûts de ses opérations, un délai de carence de six mois lui a été imposé : « J’étais alors remboursée pour les soins courants, mais pas pour la chirurgie », précise-t-elle.
Dans le cadre d’un contrat dit responsable, les mutuelles peuvent aussi imposer des restrictions, comme la limitation des remboursements à 100 % du ticket modérateur, sans prise en charge des dépassements d’honoraires. Et, lorsque le changement de mutuelle est non volontaire, c’est parfois encore plus compliqué. Mélissa1, qui a déclaré un cancer avant 40 ans, a perdu son emploi, et du même coup le bénéfice de sa couverture d’entreprise, garantie durant un an seulement. Lors des trois mois de carence suivant sa souscription à une nouvelle mutuelle, elle a dû faire appel à celle de son conjoint. Mais, « en gros, c’était la débrouille ! » lance-t-elle avec indignation.
PARLEZ-VOUS SÉCU ?
• Tarif conventionnel : base de calcul du remboursement d’un acte médical par la Sécurité sociale.
• Ticket modérateur : montant qui reste à payer après remboursement par la Sécurité sociale.
• Reste à charge : ce qui reste à votre charge après remboursement par la Sécurité sociale et la mutuelle.
• Dépassement d’honoraires : différence entre le tarif pratiqué par certains professionnels de santé et les tarifs conventionnels fixés par la Sécurité sociale. • Un médecin conventionné de secteur 1 applique le tarif fixé par la Sécurité sociale (à l’exception des consultations en dehors des heures d’ouverture).
• Un médecin conventionné de secteur 2 pratique des honoraires libres dont le dépassement n’est pas pris en charge par la Sécurité sociale.
+ d’infos sur les sites service-public.fr et ameli.fr
Quels points vérifier avant de me décider ?
Que vous vous lanciez vous-même dans la recherche d’une nouvelle mutuelle ou que vous fassiez appel à une société de courtage, sachez que les niveaux de remboursement des frais et opérations ne sont pas les seules lignes à scruter dans les tableaux. Demandez-vous par exemple si vous avez besoin de renfort en optique ou en dentaire, secteurs qui font grimper le prix des mensualités.
Bon à savoir aussi : nombre de mutuelles proposent désormais des forfaits annexes pour les médecines douces, des accompagnements en cas de maladie grave dont le cancer, ou même des conseils aux aidants. Autant d’atouts qui peuvent faciliter le quotidien !
Quels services puis-je en attendre ?
« Les mutuelles peuvent permettre aux patients de mieux vivre avec un cancer grâce à des remboursements de soins complémentaires (psychologie, diététique, prothèses capillaires, etc.), de l’aide à domicile, un accompagnement dans les démarches sociales, etc. », indique-t-on à la Mutualité française, fédération qui regroupe 500 mutuelles dans l’Hexagone. Certaines, comme à Malakoff Humanis, proposent aussi l’accès gratuit à un deuxième avis médical, des conseils et/ou un financement pour la pratique d’une activité physique adaptée…
Des contrats incluent aussi un service de coaching inter-mutuelles (Vivoptim) avec des infirmières, des enseignants en activité physique adaptée, des psychologues, etc., ou encore des forfaits « médecines douces ». Par exemple, chez Aésio, le forfait couvre près d’une vingtaine de spécialités (ostéopathie, acupuncture, auriculothérapie, sexologie…), à raison de 40 euros par séance, pour quatre séances par an. Le mutualiste Alan rembourse 70 euros par séance, cinq fois par an, pour une consultation avec un étiopathe, un pédicure-podologue ou encore un diététicien.
Ces remboursements sont cependant partout limités en nombre et/ou plafonnés. Lisez bien les petites lignes qui accompagnent ces contrats, souvent très vendeurs ! Alan, par exemple, qui met en avant l’importance de la santé mentale, rembourse les consultations de psychologues cliniciens, mais pas celles de psychothérapeutes. C’est le genre de subtilité qu’il vaut mieux avoir en tête avant de se décider.
À LIRE AUSSI : Un cancer, ça peut coûter très cher
Comment réduire le montant de ma cotisation ?
Une des solutions consiste à choisir un contrat familial, si vous êtes parent. En effet, les tarifs peuvent varier dans un sens favorable en fonction du nombre de personnes couvertes. Autre possibilité : opter pour un contrat dit non responsable, qui fonctionne hors cahier des charges de la Sécurité sociale. « Certains contrats coûtent 30 à 50 euros par personne et par mois au lieu de 100 à 130 euros », précise David Trohel. Une piste à explorer selon vos besoins, « car ces contrats permettent de renforcer les garanties d’hospitalisation avec souvent du 300 % ou du 400 %, prenant ainsi en charge de gros dépassements d’honoraires ».
N’oubliez pas également, lors de votre recherche d’une mutuelle, de vous renseigner localement. Depuis une première initiative, en 2013, par Caumont-sur-Durance (Vaucluse), de nombreuses villes négocient des tarifs de groupe pour proposer une mutuelle municipale à prix avantageux à leurs habitants, sans limite d’âge ni questionnaire de santé !
Que faire si je n’ai pas les moyens de payer une mutuelle ?
Le prix d’une mutuelle la rend inabordable pour vous ? Sachez que vous pouvez faire une demande de complémentaire santé solidaire (CSS). Selon vos ressources, cette mutuelle ne vous coûtera rien (plafond des ressources à 10 166 euros pour une personne) ou vous coûtera moins d’un euro par jour et par personne (plafond à 13724 euros pour une personne).
« C’est une aide que nous mettons en place pour de nombreuses personnes qui se trouvent dans des situations de précarité du fait de la maladie, comme les indépendants, les microentrepreneurs, mais aussi, par exemple, les contractuels de la fonction publique, surtout quand ils n’ont pas de bonnes conditions d’ancienneté », précise Véronique Jouvel.
Par ailleurs, certaines mutuelles ont créé des fonds de solidarité afin de prendre le relais des cotisations sur une période donnée et/ou de débloquer des sommes pour un soutien ponctuel en cas de coup dur. Aésio ou Mutuelle Mieux Être par exemple ont créé ce type de fonds.
Les mutuelles acceptent-elles de nouveaux souscripteurs à tout âge ?
Par chance, avant 40 ans, la nouvelle complémentaire de Mélissa n’imposait pas de questionnaire médical et elle a pu contracter sans problème. Mais c’est loin d’être toujours le cas, surtout lorsque l’on avance en âge. Encore un point à vérifier absolument !
Par ailleurs, le prix des cotisations augmente avec l’âge : « En moyenne, la cotisation mensuelle d’un contrat individuel est de 33 euros à 20 ans contre 146 euros à 85 ans, avec d’importantes disparités selon le niveau de prise en charge des contrats », précise la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (Drees) dans son rapport annuel de 2024.
À vous, avec l’aide éventuelle d’un courtier, d’accorder au mieux vos besoins en remboursements et le montant de vos cotisations mensuelles afin de rester gagnant.
Que faire pour assumer de très gros frais d’hospitalisation ?
Lorsque votre mutuelle ne suffit pas, que les dépassements d’honoraires sont trop importants ou que vous souhaitez augmenter un poste de remboursement, par exemple les frais d’hospitalisation en clinique, vous pouvez ajouter un autre niveau de protection à votre couverture : la surcomplémentaire, proposée par certains organismes de prévoyance et mutuelles. En gros, il s’agit d’une mutuelle qui complète la première mutuelle.
« Pour ma reconstruction, j’ai choisi d’être suivie en clinique dans le privé, explique Caroline. Pour assumer les frais de cette opération en trois phases, j’ai souscrit à une surcomplémentaire, que je pourrai résilier quand cette période sera derrière moi. Pour l’heure, cela me permet d’être remboursée à 90 % des presque 3 000 euros que coûte chaque intervention. »
Ajouter une garantie prévoyance, est-ce possible ?
Pour couvrir les frais des soins pour un cancer, la prévoyance (cotisation mensuelle) constitue un vrai plus. Ce type de contrats proposés par des mutuelles et compagnies d’assurances vient généralement compléter les indemnités journalières. Une prévoyance peut débloquer des sommes allant jusqu’à 30 000 euros pour couvrir les frais supplémentaires liés aux conséquences de la maladie et, selon les cas, des aides à domicile, des accompagnements sociaux ou à la reprise du travail, etc.
Les salariés qui en ont une sont souvent couverts par un contrat d’entreprise et en conservent le bénéfice même en cas de perte d’emploi. Si vous êtes fonctionnaire ou indépendant et que vous n’avez pas souscrit de prévoyance avant la maladie, sachez que c’est parfois possible pendant.
« Un indépendant sur deux n’a pas de prévoyance en France, et il pense souvent qu’il n’a droit à rien, explique Christine Gavaudan, psychologue du travail chargée de mission à l’association Caire 13. Bien sûr, ça dépend de l’âge, de la pathologie, et il faut en général un intervalle de trois mois sans hospitalisation ou l’arrêt des traitements pendant six mois pour pouvoir souscrire. Mais nous travaillons avec des courtiers et des avocats bénévoles qui trouvent des solutions. » Un point à creuser lorsque le cancer autorise un temps de répit.
Par Cécile Blaize et Laure Marescaux
1. Son prénom a été changé.