CE QU’IL FAUT RETENIR :
– Dans une tumeur, les cellules cancéreuses existent sous plusieurs états. La majorité prolifèrent rapidement et sont donc sensibles aux chimiothérapies. Les autres se divisent moins vite, sont réfractaires à ces chimiothérapies et ont plus tendance à disséminer (état pro-métastatique).
– Pour transitionner vers l’état pro-métastatique, les cellules cancéreuses doivent modifier l’expression de leurs gènes. Pour cela, elles ont besoin de capter du fer dans leur milieu et de l’acheminer vers leur noyau.
– L’équipe du Dr Rodriguez a développé une molécule capable de bloquer cette transition en empêchant le fer de parvenir au noyau et en provoquant leur mort par ferroptose.
– Ce médicament a prouvé son efficacité in vitro et sur un modèle animal. Il faudra attendre les résultats d’essais cliniques avant qu’il soit disponible pour les patients.
Frédéric Thomas l’a très bien expliqué dans son livre L’abominable secret du cancer, le cancer se comporte comme un organisme vivant. En tant que tel, il est soumis aux lois de la sélection naturelle énoncées par Darwin : pour survivre, il faut s’adapter à son environnement. C’est ainsi que, si on essaie de se débarrasser d’une tumeur avec de la chimiothérapie, on parviendra à éliminer les cellules cancéreuses qui se divisent rapidement. En revanche, certaines cellules risquent de s’adapter pour y échapper, par exemple en ralentissant leur division et en quittant cet environnement peu favorable.
Les cellules cancéreuses sous 2 états
“C’est ce qu’on observe dans une tumeur : les cellules cancéreuses existent principalement sous 2 états. La majorité prolifèrent rapidement et sont sensibles à la chimiothérapie. Les autres y sont résistantes et ont tendance à disséminer, à devenir métastatiques” explique le Dr Raphael Rodriguez, directeur de recherche dans une unité CNRS/INSERM à l’Institut Curie. Comment passent-elles d’un état à l’autre ?
Une question d’épigénétique
“Les cellules ont toutes le même génome. Pour basculer d’un état à l’autre, cela se joue au niveau épigénétique : au niveau de l’expression de leurs gènes” précise le chercheur. Et pour qu’un gène soit exprimé, tout une machinerie doit se mettre en route dans le noyau de la cellule, où se trouve l’ADN, impliquant notamment des enzymes. “Certaines de ces enzymes ont besoin de fer pour fonctionner” ajoute-t-il.
Les chercheurs avaient déjà observé que les cellules présentant un état « pro-métastatique » captent beaucoup plus de fer de leur environnement. Par ailleurs, elles expriment fortement à leur surface un récepteur : le CD44. “Le CD44 est connu depuis un demi-siècle. Il s’agit du récepteur principal de l’acide hyaluronique.” Aucun lien n’avait encore été établi entre cette protéine et le fer. Pour le Dr Rodriguez, chimiste de formation, le lien était évident. “J’ai compris que, en raison de sa structure, l’acide hyaluronique peut faire rentrer du fer dans la cellule, via le CD44, en se liant à lui.”
Le fer, crucial à la transition pro-métastatique
Tout devient plus clair : pour changer leur épigénétique et transitionner vers un état pro-métastatique, les cellules cancéreuses ont développé un mécanisme leur permettant de capter davantage de fer dans leur milieu. Cette adaptation, qui leur confère leur capacité à résister aux chimiothérapies, pourrait bien être leur faiblesse.
Le Dr Rodriguez sait comment exploiter ce talon d’Achille : “Avant d’arriver dans le noyau, le fer passe par un autre compartiment de la cellule : les lysosomes. S’il s’y accumule de façon trop importante, cela va conduire à la mort de la cellule par un mécanisme d’oxydation des membranes, appelé ferroptose. Nous avons donc développé une molécule, la fentomycin-1, capable d’intensifier ce mécanisme.”
Une efficacité démontrée in vitro
Dans son laboratoire, son équipe teste ce prototype de médicament sur des cellules primaires de patients, des biopsies, des organoïdes dérivés de tumeurs ainsi que sur des modèles d’animaux. “On a choisi des cancers particulièrement difficiles à traiter : les cancers du sein triple négatif, du pancréas et les sarcomes. À chaque fois, nous avons réussi à détruire les cellules cancéreuses qui étaient moins ou peu sensibles à la chimiothérapie conventionnelle.”
Ces résultats impressionnants lui ont valu une publication dans la prestigieuse revue Nature. “Mais ce n’est pas une fin en soi. Je ne fais pas de la recherche pour publier des articles. La prochaine étape est de créer une start-up et trouver des fonds pour passer aux études cliniques. Je sais que cela risque d’être difficile en France”, s’inquiète le chercheur. Espérons que l’avenir de cette incroyable découverte ne soit pas compromis faute de financement et de prise de risque…